NUAGES
Un
poème de toujours, et des nuages d'un jour de juillet un
peu agité…
L’étranger
"Qui
aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père,
ta mère, ta soeur ou ton frère ?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.
- Tes amis ?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté
jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté ?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas...
là-bas... les merveilleux nuages !"
Charles Baudelaire - Le
Spleen de Paris
Un petit
salut à Eugène Boudin…grand maitre des nuages
Compte
rendu du Salon de 1859 par Charles Baudelaire au sujet des
oeuvres d'Eugène Boudin
S'ils
avaient vu comme j'ai vu récemment, chez M. Boudin qui,
soit dit en passant, a exposé un fort bon et fort sage
tableau " le Pardon de sainte Anne Palud ", plusieurs
centaines d'études au pastel improvisées en face de la mer
et du ciel, ils comprendraient ce qu'ils n'ont pas l'air de
comprendre, c'est-à-dire la différence qui sépare une étude
d'un tableau. Mais M. Boudin, qui pourrait s'enorgueillir
de son dévouement à son art, montre très modestement sa
curieuse collection. Il sait bien qu'il faut que tout cela
devienne tableau par le moyen de l'impression poétique
rappelée à volonté; et il n'a pas la prétention de donner
ses notes pour des tableaux. Plus tard, sans aucun doute,
il nous étalera, dans des peintures achevées, les
prodigieuses magies de l'air et de l'eau.
Ces études, si rapidement et si fidèlement croquées d'après
ce qu'il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans
sa forme et dans sa couleur, d'après des vagues et des
nuages, portent toujours, écrits en marge, la date, l'heure
et le vent; ainsi, par exemple: 8 octobre, midi, vent de
nord-ouest. Si vous avez eu quelquefois le loisir de faire
connaissance avec ces beautés météorologiques, vous pouvez
vérifier par mémoire l'exactitude des observations de M.
Boudin. La légende cachée avec la main, vous devineriez la
saison, l'heure et le vent. Je n'exagère rien. J'ai vu. A
la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et
lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes
et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces
fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet,
fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou
ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes
ces splendeurs, me montèrent au cerveau comme une boisson
capiteuse ou comme l'éloquence de
l'opium.