C’est
le privilège des artistes de poser un regard singulier sur
le monde. Question d’optique. Ils voient autrement ce
que l’œil du commun laisse passer sans réagir.
Ils captent un mouvement, une forme, une attitude, une
couleur et font leur mélange de ces instants fugitifs pour
composer une image originale que personne d’autre
n’est capable de fabriquer. Michel Gombart a ce don
particulier. Je ne sais pas si on naît photographe mais
Michel regarde comme ça autour de lui depuis longtemps.
C’est une façon d’être. Une manière
d’être présent au monde et un peu absent aux autres.
Les artistes sont souvent ailleurs. Chez les photographes,
cela se traduit parfois par une relative indifférence ou
une distraction apparente qui se transforment en grâce
quand un instant singulier de la vie est saisi au vol.
« Dès que j’ai eu un instamatic,
je me
suis mis à prendre ma famille en photo » confie
Michel. Puis le regard a porté sur d’autres cercles,
l’appareil toujours à portée de main. L’homme
est discret. Il est en alerte mais guette le moment où le
corps se trahit. Ca ne s’explique pas. On le voit à
peine armer son Canon
pour
vous prendre. Il fixe une part inédite de vous même à votre
insu. On pourrait en concevoir un peu de rancune. Même pas.
On est plutôt sidéré de découvrir la part étrange
qu’il révèle des gens et des choses.. Michel colle,
bricole, assemble, désorganise les conventions visuelles,
cuisine son petit univers et ouvre son livre d’images
aux amis ébahis qui ne savent trop quoi dire. Michel est
photographe. C’est un auteur de réel. Il crée quelque
chose que personne d’autre ne fait. Il s’en
excuse presque. Ce n’est pas son métier. Michel
Gombart s’efface souvent, économise son verbe,
cultive certaines absences, fait parfois le mort, retient
son souffle pour mieux saisir la vie frêle et fugace dont
la fragilité tremble au bout de son objectif. Il en
subtilise des bribes et recompose son monde. Pour la beauté
du geste. C’est parfois violent, sombre, ou drôle.
Comme les histoires que se racontent les enfants solitaires
et que personne ne connaîtra jamais.
Thierry Bonté.