LA PLUIE JAUNE
un livre de
Julio Llamazares
Début
1996, c’est la découverte du romancier espagnol Julio
Llamazares par la lecture de son second roman. Un véritable
coup de poing. Il y a des livres, rares, qui vous explose
la tête. Je ne me souviens plus des raisons qui ont fait
que j’ai choisi ce livre, mais il est probable que
comme pour les disques il faut d’abord prendre ce que
l’on ne connaît pas. Le titre certainement à jouer un
rôle, surprenant et impossible de déceler dans quelle
direction il va nous entrainer. Dés la première lecture,
vous savez que vous allez plonger dans cette descente en
enfer, celle de l’exode rural, de la solitude, du
froid et de la nuit…Lorsque vous fermez ce livre,
vous êtes sonné, groggy, mais c’est le charme de la
littérature, vous vous empressé de le partager avec vos
proches.
Aout 1996, en vacances dans les Pyrénées avec des amis, Il
semble indispensable d’aller découvrir le village qui
se trouve au cœur du récit, Ainielle, sur le versant
espagnol de la montagne en Aragon. Comme toute ballade en
montagne, toute la troupe se met en marche de bon matin,
l’objectif étant de profiter au maximum du lieu à
travers ses paysages, ses couleurs, ses odeurs. Le but est
double, découvrir dans le dernier virage le village,
confronter les souvenirs de lecture à la réalité des
maisons en ruine et profiter d’un pique-nique
généreux pour échanger nos impressions. Les enfants
profitent au mieux de ce lieu si propice à
l’exploration. Après les efforts de la marche, on se
laisse vite gagner par la douceur du repas et l’on
essaie de différer un peu le moment ou il faudra
redescendre.
Le temps est beau, le soleil fait son boulot et nous
faisons des efforts pour retrouver le climat hivernal avec
le vent froid qui glisse entre les maisons, le givre qui
envahit les bords des carreaux et la neige qui étouffent
les bruits. Béné qui bourlingue sur tous les sentiers de
montagne, reste vigilante, elle sent le vent léger qui se
lève, les nuages qui à pas de loup envahissent le ciel si
bleu. Il y a quelque chose de sournois dans la nature. Elle
donne le signal du repli, on remet tout dans les sacs à
dos, même la poubelle, ont rassemble les enfants et après
un dernier regard en arrière on plonge vers le village de
départ. Ce jour-ci, les éléments n’ont guère envie de
plaisanter. Très vite le vent prend un malin plaisir a
secouer les arbres en faisant ployer les cimes, la lumière
s’éteint progressivement et la pluie rentre dans la
danse…Dés lors il faut marcher vite, porter les
petits sur les épaules et les rassurer. Descente rendue
difficile par la pluie qui transforme le chemin en cours
d’eau boueux. On baisse la tête, on parle aux enfants
pour les distraire, la pluie colle nos vêtements sur le
corps et si il n’y avait le besoin de se mettre en
sécurité on pourrait prendre plaisir à cette douche géante.
Le groupe se constitue de petites entités, les espaces se
creusent. Les éclairs et le tonnerre arrivent pour
renforcer l’ambiance. La pluie redouble avec
d’énormes gouttes qui s’écrasent partout. Un
4x4 passe, les gouttes rebondissent sur la tôle, les
essuie- glaces glisse sur le pare-brise , les vitres sont
recouvertes de buée, on ne voit rien à l’intérieur.
Enfin, le chemin remonte vers la place du village ou nous
avions laissé nos voitures. En arrivant on ne voit plus
l’escalier qui descend de l’église à la place,
c’est un cour d’eau qui a effacé toute les
aspérité des marches. L’eau s’enfuit à toute
vitesse dans les rues. Il est temps de sauter dans la
voiture sans réfléchir, le niveau de l’eau atteint le
plancher des véhicules, encore un peu et les moteurs seront
noyés. Les essuie-glaces bataillent ferme contre la pluie,
les maisons comme des grandes taches sombres glissent le
long des véhicules. La buée envahit l’habitacle, on
avance coupé du monde, Il faudra du temps et de nombreux
kilomètres pour pouvoir s’arrêter et souffler. Tout
le monde est pourri, les cheveux collés sur le crane et
avec exaltation chacun témoigne de ce qu’il à vécu,
ressenti.
Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que le
visage d’Ainielle que nous étions venu chercher
c’est dérobé et qu’il a sans doute réapparu
dans le village alors que nous efforcions de nous mettre à
l’abri en courant sur le sentier qui nous ramenait
aux voitures…
Le lendemain nous apprenions par la presse que dans la
vallée voisine, la pluie allait provoquer la mort de plus
de soixante dix personnes dans un camping de
Biescas.
Au
seuil de la mort, un homme achève l’expérience
extrême de l’abandon. Pour conjurer la peur, il
parle. Il raconte avec une grande pudeur et une douceur
infinie, sa cruelle traversée. Il réveille dans ce village
oublié des Pyrénées aragonaises, les visages disparus que
la maladie, la vieillesse, la guerre mais surtout
l’exode ont emportés jusqu’au
dernier – lui. Il évoque sa résistance
obstinée contre les forces de la nature, contre les
mensonges de la mémoire, les illusions du réel ou les
exaltations de la folie. Ce
chant âpre et fascinant – écrit dans une
langue simple mais imagée, sensible, enveloppante,
volontiers itérative au point de susciter ce sentiment
étrange de déjà vécu – emporte celui qui
écoute vers un point de vertige où s’évanouissent
ensemble, dans la chute lente des feuilles de
l’automne, l’éphémère et l’éternel.
Résumé
du livre
Extrait du livre:
Dans la rue, le
brouillard s’accrochait aux murs et l’humidité
glacée du givre rendait invisible toute empreinte récente.
Un silence immense occupait le village entier, il
introduisait sa grande langue sale dans la pénombre des
maisons, fourrageant dans la rouille de l’oubli et la
poussière accumulée par les ans. Je fermai sans bruit la
porte derrière moi. Je cherchai dans la poche de mon
pantalon le contact familier du couteau et, contrôlant ma
respiration et les battements de mon cœur pour que de
loin ils ne puissent pas me trahir, je me mis à marcher sur
le chemin que Sabina suivait chaque nuit en solitaire.
Lentement, mes sens se portant au-delà du brouillard et
m’enfonçant dans la neige à chaque pas, je parcourus
peu à peu tout le village sans trouver trace de son
passage. Je regardai sous chaque porche, au détour de
chaque rue, derrière chaque mur. Je fouillai Ainielle
partout, rue après rue et maison après maison. En vain. On
aurait dit que la neige et le silence l’avaient
ensevelie, que sa figure émaciée s’était diluée à
jamais dans le brouillard. Je jetai encore, malgré tout, un
dernier coup d’œil aux ruines de l’église
et j’étais sur le point de rentrer quand brusquement
je me rendis compte qu’il y avait encore un endroit
où je ne l’avais pas cherchée.
De loin, ombre parmi les
ombres que dessinait le brouillard, j’aperçus
d’abord la chienne couchée sur le chemin. Lovée dans
la neige, sous la protection douteuse des peupliers sans
feuilles, elle ressemblait à un animal noyé et abandonné là
par la fureur de la rivière. Je traversai le pont et
pressai le pas, je l’appelai à voix basse en
m’approchant. Mais, quand elle me vit, au lieu de
courir vers moi comme d’habitude, elle se releva sur
place et recula lentement vers la porte du moulin sans
cesser de me regarder un seul instant. Je me demandai si,
par là, elle essayait de me guider ou si, au contraire,
elle voulait me barrer le passage. Mais à ses
yeux – et à l’étrange attitude
menaçante que d’emblée elle avait adoptée (et qui me
rappela sa solitude remplie de crainte tandis qu’elle
surveillait le sanglier dans la nuit et la
neige) – , je compris immédiatement ce qui
m’attendait derrière elle et derrière la porte du
moulin. Sans réfléchir un instant, je courus l’ouvrir
d’un coup de pied : Sabina était là, elle se
balançait, pendue comme un sac dans la vieille machinerie,
les yeux immensément ouverts, et le cou brisé par la corde
avec laquelle, quelques nuits auparavant, j’avais
pendu le sanglier sous le porche de la maison.
Le
lundi 14 avril 2008 par
lagarto
Les
chants les plus beaux, dit-on, sont souvent les plus
tristes. Dans « La pluie jaune » grande est la
tristesse et la beauté est intense. C’est un long
poème, comme un chant, une élégie funèbre.Un court récit,
livre de deuil et de mémoire.
C’est beau. Si beau dans la mélancolie et la
nostalgie.
Livre de l’oubli, de l’abandon, de la mort.
La terre se meurt et l’homme aussi, comme sont morts
les autres. Le dernier, peut-être mort déjà. La folie
exaltée. Dans le village perdu au fond des Pyrénées
aragonaises. Le village existe. Ainielle. L’auteur le
précise. Il fut abandonné en 1970. les pesonnages sont
fictifs, pourraient être réels. " La pluie jaune "
n’est pas un roman régional ni un récit rural ou
écologique.
Une voix mène le récit, voix unique de l’homme qui
meurt dans la ruine du village. Sur le lit, encore vêtu,
regardant en face, attendant. Dans quelques minutes,
quelques heures peut-être - avant l’aube quoi
qu’il en soit - . Bientôt dévoré par la mousse et les
oiseaux.
Il attend et il parle.
Il raconte comment, avant de se coucher, il a creusé sa
tombe, tué sa chienne avec la cartouche qu’il lui
avait réservée. Il regrette que, pour lui, nul n’ait
eu ce geste. Personne ne s’est souvenu de son
existence, pas même à l’heure de l’achever.
Il dit la longue et lente procession qu’il est le
seul à suivre dans le souvenir avant que le silence,
l’oubli et les mauvaises herbes ne recouvrent tout.
Il rappelle l’agonie du village déserté, la
désolation, l’épuisement. Et le temps. Temps rude de
la montagne, de neige et de vent et la pluie jaune.
L’impuissance et l’isolement. Ils sont tous
partis. Ailleurs, morts, à la guerre. L’exode.
« La pluie jaune » évoque la solitude, le
délaissement, les fantômes, celui de la mère veillant près
d’un feu inexistant la mémoire d’une maison
dont personne ne se souvenait plus, des morts, si présents,
la femme pendue, la vipère.
C’est le livre de la présence humaine dans la
profondeur des demeures, l’existence réelle du
village dans sa mémoire. La peur et l’amour.
" La
pluie jaune " est un très beau livre de Julio Llamazares.
Exrait de "la pluie jaune"
Le toit et la lune. La fenêtre et le vent. Que restera-t-il
de tout cela quand je serai mort ? Et, si je suis déjà
mort, quand les hommes de Berbusa me trouveront enfin et me
fermeront les yeux pour toujours, dans quel regard
continueront-t-ils à vivre ?
Si l'automne n'embrasait à présent la lune, je pourrais
croire qu' il s'agit de cette même nuit de réveillon. Si la
lune ne brûlait pas à présent mes yeux, je penserais que ma
vie depuis n'a été qu'un songe. Un songe blanc, fébrile,
tourmenté, comme l'angoisse de ces draps ou la folie
interminable de ce premier hiver-là. Un songe blanc,
fébrile, tourmenté, que les hurlements de la chienne
reviendraient rompre comme ce jour-là qui m'annonça en
pleine nuit le début du dégel.
La fenêtre et la lune encadrent et illuminent encore comme
avant ce premier souvenir. Une nuit de mars, contre
l'aurore, vers la Saint-Joseph. Le vent sur les vitres et
la chienne qui hurlait à la lune et qui m'appelait entre
mes rêves. Il y avait déjà quelques temps cependant, que
l'on pouvait sentir la mort de l'hiver. Un frémissement de
semences renaissait dans les bois. Une obscure humidité
surgissait de la terre et s'étendait peu à peu dans les
rues et les jardins. Et, dans un recoin de l'entrée où elle
restait allongée à l'accoutumée, une douce inquiétude
animait le coeur et le regard de la chienne. C'est
pourquoi, cette nuit là, quand je montai à la chambre après
un jour de plus inutilement brûlé devant le feu, je tardai
à m'endormir me rappelant de lointains printemps oubliés.
C' est pourquoi cette nuit-là, quand, au petit matin les
hurlements de la chienne me réveillèrent, je compris que
l'hiver venait de finir et je ne parvins plus à retrouver
le sommeil.
Julio
Llamazares est revenu sur la genèse de ce texte
époustouflant. « Il y a, à l’heure actuelle,
quelques 5 000 villages abandonnés en Espagne », nous
signale-t-il. Et c’est en pénétrant dans l’un
d’entre eux,
Ainielle,
dans la province de Huesca, un jour d’automne,
qu’il a ressenti le besoin d’écrire afin de
partager ce qu’il avait ressenti. Ainielle, un nom
qui, grâce à lui, a été sauvé de l’oubli. On ne
compte plus les Espagnols qui y ont effectué un pélerinage
depuis les années 1980, et à la plus grande stupéfaction de
notre écrivain, il y a même une dizaine de petites
Espagnoles qui ont été affublées de ce qui semble même être
devenu un prénom !…
Pour autant, l’auteur a affirmé que ce roman ainsi
que l’ensemble de son oeuvre était déjà contenu dans
le premier vers du premier poème de son premier livre
– « Tout est aussi lent que la marche d’un
boeuf sur la neige »2.
Car il est persuadé qu’au fond, « tous les
écrivains écrivent toujours le même livre, tout comme les
musiciens composent toujours le même morceau ou les
peintres peignent toujours le même tableau. » Ce
qu’ils font, ce sont bien plutôt « des
variations sur un même thème ». On a effectivement
dans ce premier opus le thème de la culture paysanne, la
neige, et l’importance du temps qui passe. Il ne
manque plus que le jaune, qui apparaît toutefois assez
rapidement dans le recueil. De toute évidence, il a
également été question de l’importance de cette
couleur, que l’on retrouve dans l’ensemble de
son oeuvre tout comme aucun film d’Almodovar ne fait
l’économie de la couleur rouge… Tout en se
refusant à donner une signification univoque et définitive,
arguant que « le maître d’un livre est avant
tout son lecteur et non son auteur », il explique que
cette métaphore de l’invasion sournoise par le jaune,
notamment sous forme de pluie, et son association avec la
douleur, se sont certainement imposées à son esprit le
premier jour où il a mis les pieds à Ainielle, où le sol
était jonché de feuilles jaunâtres. Ce peut être également
le jaune qui teint les photographies et le papier au fur et
à mesure que le temps s’écoule. En tout cas, il
n’aurait pu trouver de meilleure maison
d’édition française que les
Editions Verdier pour
mettre autant l’accent sur cette couleur!…