LUCIENNE, LECTRICE
Volume 2
Le
bal languissait, teinté de cette vague mélancolie qui
enlise les choses gaies à l’approche de leur fin,
cependant que les jeunes filles point encore rassasiées de
« blues » et de « twosteps »
imploraient de leurs mères résignées l’ultime quart
d’heure de grâce qui devaient assurer leur triomphe.
- De mon temps chuchota une dame dont la voix avait des
sonorités de petites flûte, on se tenait mieux. Les jeunes
filles étaient plus modestes… et les jeunes gens
donc… Polis, déférents, empressés, fallait
voir… Vous laissiez tomber votre mouchoir, exprès
naturellement, qu’ils se disputaient l’honneur
de le ramasser et vous le tendaient avec un
compliment… Aujourd’hui…
-Ils se disputent à qui ne le ramassera pas ! soupira
sa voisine en secouant sa chevelure fauve. Qu’est- ce
que vous voulez, les femmes ambitionnent d’être
traitées en égales et les hommes en profitent …
Elles étaient bien plus fortes quand elles personnifiaient
le sexe faible !
Marcel
Idiers.
Collection Stella.
C’était au lendemain de la déroute de Sedan. La
France frappée de stupeur, haletait sous la botte
allemande. Un instant tout trembla comme si le pays
s ‘effondrait, on créa un gouvernement de
défense nationale. La République fut proclamée et toute la
France s’unit dans un but unique : sauver, quand
même l’honneur de la patrie. Paris, héroïque en face
de l’invasion, se préparait à une opiniatre
résistance, et malgré les ruines et malgré le sang qui
ruisselait dans l’Est, la France entière se souleva
pour soutenir la capitale.
Ce soir là, 4 septembre, vers cinq heures, un drame intime
d’une réalité poignante se déroulait dans un modeste
appartement rue du cherche-midi. Dans une chambre à coucher
du cinquième, une « d’age », vêtue comme
une ouvrière besogneuse, était penchée vers une jeune
femme, étendue sur le parquet et donnant à peine signe de
vie. Un baby jeté sur elle, criait lamentablement , et une
jeune fille en tablier blanc se tordait les mains,
d’un geste désespéré, sans aider la voisine
qu’elle avait appelée
Ce
n’est pas tout de se désoler, dit la femme avec
autorité, sans interrompre les lotions de vinaigre sur le
visage de marbre, il faut mettre cette pauvre petite dame
sur son lit, puis courir chercher un médecin.
_Chut !
Jacques, je ne lui en veut pas, moi ; elle a été
aveuglée par sa tendresse. Ensuite, ami, comme rien
n’affaibli le courage autant que de ce repaitre de sa
peine, et surtout de s ‘épancher en en parlant,,
ne revenons plus entre nous de ces sujets là…
Maintenant Jacques, vous allez me jurer sur votre honneur
que jamais, Christiane n’apprendra de vous que, par
amour pour elle, cousin Jean se voue à un perpétuel
célibat.
- Je vous le jure, Jean, je ne me reconnaitrais pas le
droit de trahir un secret que j’ai surpris, même
s’il s’agissait de mon bonheur… vous
êtes un brave Jean ; Je veux à jamais m’honorer
d’être votre ami. Mais que je suis loin de votre
héroïsme, che Jean, vous qui, par un sentiment de
délicatesse exagérée, devant lequel je m’incline,
sacrifiez avec une telle noblesse l’amour de toute
votre vie !
M de
Harcoet.
Edition du « petit écho de la mode »
La
frêle et innocente colombe se livrait naïvement au serpent.
Le professeur paraissait prendre un grand intérêts aux
récits de sa jeune et jolie élève et,de fait il en prenait
un immense dont la pauvrette ne soupçonnait pas la nature.
Il entrait de plus en plus dans l’intimité de la
jeune fille , mais quand Marianne était là, il se faisait
plus discret, n’osant pas, devant la
« duégue » se livrait à des propos trop
familiers.
Il étudiait son plan avec patience. C’était un
déclassé de la pire espèce auquel tout paraissait bon pour
réussir à se procurer de l’argent. Renié par sa
famille, il vivait des pires expédients, et se servait de
son réel talent de musiciens pour pénétrer dans les milieux
riches.
Une fois dans la place, il cherchait de quelle façon tirer
parti de la situation qu’il occupait.
Ici la chose était toute indiquée, séduire la jeune et
inexpérimentée Pauline. C’était une mine ‘or
pour l’avenir que cette orpheline, riche et
malheureuse dans sa famille, et dont le père paraissait se
soucier assez peu.
Le professeur se insinuant, aimable, tendre même…
que risquait-il ? d’être mis à la porte…
Si, au contraire, c’était le succès, si elle devenait
sienne… ne serait-ce que d’une manière
fugitive, par accident ? quelle ressource pour un
coquin ?
Il arriva qu’un jour, Pauline ayant dû donner une
permission à Marianne pour l’heure de la leçon de
piano, contrairement aux ordres du notaire,
l’horrible gredin, par menace, tiompha des
résistances de la pauvre fille.
Le crime était commis, il n’y avait plus, pour
l’odieux individu qu’a en recueillir les
fruits. Si Pauline était enceinte, la partie était belle
pour lui.
Jamais il ne lâcherai d’une semelle, cétait un
capital vivant que cette fille là.
L.
Regnault.
Edition Ferenczy. 1916.
Henri
de Brémont posa une poignée de louis sur la table, puis se
tournant vers le Comte de Boiselle, il dit :
« il paraît qu’il y avait une émission de
valeurs surprenantes. Ma voiture s’est trouvée
cernée. Elle ne pouvait ni avancer, ni reculer, tant la
foule des souscripteurs était grande… les agents de
police avaient organisé deux queues qui s’étaient
rejointes, m ‘enserrait comme deux mâchoire
d’un étau.
Il se mit à rire.
J’étais prisonnier de capitalistes. J’avais
beau être ronger d’impatience, crier et tempêter, mon
chauffeur n’osait lâcher le pied du frein de son
moteur, par crainte d ‘écraser quelqu’un
de ces bravent gens…
Et si vous aviez entendu la rumeur qui s’élevait de
cette foule d’agioteurs !...
Dites-moi Comte est-ce que cette folie-là fait beaucoup de
victimes ?
-Quelle folie ?
- Celle qui pousse les plus ignorants en affaires à vouloir
réaliser rapidement des fortunes.
…d’un ton léger :
Ceux que j’ai vus, là-bas, rue Lafitte me faisaient
littéralement pitié.
Il y avait là de bonnes figures d’ouvriers, de petits
bourgeois, d’homme du peuple, qui péniblement sans
doute, avaient amassé sous à sous les sommes qu’ils
venaient de verser dans les caisses d’un banquier.
Et le pis est qu’ils paraissaient tous aussi avides,
aussi désireux de courir le risque de ces opérations
hasardeuses ; tous aussi convaincus de leur chance de
réussite.
Où allons- nous, grand Dieu ! si l’amour de
l’argent pénètre ainsi dans les classes qui
jusqu’à présent, avait paru s’en soucier le
moins.
Il n’est pas défendu à personne de tâcher à améliorer
sa situation, émit Mr de Nory ; tout le monde doit
chercher à s’élever.
….
Je
me souviens que mon père me disait jadis :
Henri lorsque tu verras Paris, la ville Lumière, tu
rencontreras des hommes puissants par leur richesse, mais
d’autres aussi par leur cerveau : des artistes,
des poètes, des littérateurs, et partout tu entendra le mot
magique pour lequel on pâlit sur les livres, pour lequel on
veille, on travaille, on risque jusqu’à sa vie.
Ce mot qui anime tout : c’est la gloire.
Mon père se trompait, ou, tout est changé ici, car
maintenant, le seul mot magique qui bourdonne à chaque
instant à nos oreilles : c’est l’argent.
Pierre
de Lannoy.
Edition Ferenczi.1918.
« Vous
n’aurez pas, l’Alsasce et la Lorraine,
Et malgré vous, nous resterons Français !
Vous avez pu germaniser la plaine
Mais notre cœur vous ne l’aurez jamais !
Villemer
et Nazet-1871
Allemande moi ! se récria Suzel comme sous la morsure
d’un soufflet.
- Seriez-vous française par hasard ?
- Hélas non !...
-Donc vous êtes allemande !...
- Non je suis lorraine ! …
Le to sur lequel la jeune fille venait de prononcer ces
derniers mots n’intimida qu’un instant
l’arrogant individu.
Il reprit bientôt d’une vois faussement douce :
Allons cessons de nous disputer ! si je suis ici ce
soir, ce n’est pas pour vous chercher
querelle… au contraire !
« Le hasard m’a rendu témoin des adieux que vous
faisiez Fritz et m’a révélé les projets de votre
amoureux.
Mais je suis un bon garçon, et je veux oublier tout ce que
j’ai vu et entendu cette nuit !
Vous êtes bien aimable en effet ! Fit Suzel en
devenant ironique à son tour.
Mais je vous connais assez pour savoir que votre discrétion
ne sera pas gratuite.
Qu’exigez-vous de moi en échange ?
Otto eu un sourire bestial et s’avança d’un
pas, il répondit : un baiser !
Bien qu’elle eut prévu la réponse, la jeune fille ne
put s’empêcher de frémir de tout son être.
Mais ce nouvel affront eut aussi le don de la faire
redevenir entièrement maitresse d’elle-même.
Elle releva la tête et, défiant son interlocuteur, elle lui
lança, son mépris au visage.
Ainsi, lui dit-elle d’une voix où débordait son
indignation, ainsi il n’a pas suffi que votre père et
vous me poursuiviez, l’un de sa haine, l’autre
de ses assiduités ! Il faut encore que vous pénétriez
ici, la nuit, en escaladant quelque mur comme un
voleur… oui ! comme un voleur !
Marcel Priollet
Roman sentimental et patriotique.Inédit.
Le livre épatant/ édition Ferenczy
Je
travaillais en effet avec une ferveur enthousiaste. Il y a
des heures comme cela… Des heures ou l’on a,
et des ailes, et du vent sous ses ailes. Il y a
d’autres heures aussi. Vous, vous êtes l’étoile
de toute mes heures,mais surtout de celles où l’on a
plus d’ailes du tout.
J’ai l’impression que ces heures -là, deviennet
tout de même plus rare… ?
- Oui mais vous savez mademoiselle, quand on est tant soit
peu artiste, les heures noires existent toujours. On
n’est pas artiste, si l’on n’a pas le
sentiment de l’infini…Or, l’infini
c’est quelque chose que l’on atteint
jamais…C’est l’appel incessant vers un
idéal qui est plus loin que vos bras…plus haut que
votre puissance de monter. C’est pourquoi un artiste
sera toujours un triste. Et puis je suis tellement
impressionnable, émotif !... Je ressemble un peu à la
mer, toujours pareil pour les profanes, toujours si diverse
pour ceux qui savent regarder.
- Je l’ai remarqué depuis que je vous connais. Car je
commence à vous connaître…
- Un artiste content de lui toujours, n’est pad un
véritable artiste. Mais je ne veux pas me plaindre. Ma part
est belle. Si j’ai un tourment ignoré, j’ai
aussi des joies, que beaucoup ne soupçonnent pas. Et puis,
ici, je me sens si bien dans mon élément, dans ma voie,
dans ma vocation, que je commence à devenir moins
timide… à avoir un tout petit peu confiance en moi.
Pierre
l’Ermite.
Illustrations de Damblans ;
Bonne Presse. Paris