LUCIENNE, LECTRICE
        
        
volume
        1
        
         
        
        
        Etrange
        destin pour ces livres. Je les ai sorti du purgatoire
        lorsque nous nous sommes séparés de la maison familiale.
        Ils dormaient dans des grands sacs au grenier depuis plus
        de trente ans. Nous les avions déposés là au décès de ma
        grande tante. Je ne crois pas que les avions garder pour
        les lire, mais simplement parce que c’était ses
        livres. De plus certains avaient des illustrations
        vieillottes avec un certain charme. Je me souviens que dans
        sa cuisine, ou régnait un joyeux désordre, Il y avait
        entassé sur une table, des piles de journaux et de livres
        en tout genre. Seule, Lucienne pouvait retrouver quelque
        chose sur cette table. Derrière, en tendant le bras, on
        pouvait atteindre une antique radio, qui diffusait les
        épisodes de Zappy Max et les déambulations de « 
        l’ami Bartissol ». Elle avait toujours dans son
        porte monnaie des capsules de Bartissol au cas ou…
        je n’ai pas de souvenir de Lucienne en train de lire,
        à l’exception des livres de messe, dont elle faisait
        un usage intensif. Elle était surtout la reine du crochet,
        réalisant de superbes napperons sans compter les jours sur
        les draps et toutes sortes de lettres pour marquer le
        linge. On peut supposer que dans cette vie pas toujours
        facile, avec son garde chasse de mari, et toutes ses années
        de veuvage, la lecture de ces livres moralisateurs, avec
        happy end, lui a apporté un peu de douceur dans ce monde de
        brute. En lisant certain passage, il est étonnant de
        constater, qu’elle a connu des scènes décrites dans
        ces livres. En effet, par sa proximité avec l’univers
        du château de Boran, côté domestique, elle connaissait bien
        les us et coutumes de ce milieu.
        
        Lucienne avait un don pour l’organisation, elle
        collectionnait les recettes de cuisine, soigneusement
        découpées et collées bord à bord dans des cahiers. Je
        n’ai pas de souvenir précis de sa cuisine, mais je me
        souviens, du vin qui chauffait sur la petite cuisinière
        dans la pénombre. Il y avait comme de la magie lors de
        l’embrasement de l’alcool dans la casserole. A
        ce moment là, j’étais pas loin de penser que Lucienne
        avait quelques secrets de sorcière ! Elle possédait
        également une sérieuse collection de chansons en tout
        genre. Outre des partitions achetées dans le commerce, elle
        avait de nombreux petits cahiers qui étaient gorgés
        jusqu’au moindre espace de paroles ! Le plus
        délicat, aujourd’hui, c’est de pouvoir relire
        ces textes, écrits très finement au crayon ! Enfin
        concernant les livres, elle avait mis en place des listing
        répertoriant les auteurs et les titres des livres. Souvent
        pour les plus gros volumes, elle prenait soin de les
        recouvrir en utilisant du papier de récupération. En voici
        donc, une modeste sélection, résultant d’un carottage
        tout à fait aléatoire. Bonne
        lecture…
        
        
        
        
 
        
        
        
 
        
        
        
         
        
        
        Geneviève,
        non, vous ne m’aimez pas !
        
        - Comment pouvez-vous parler ainsi, Claude, quand
        j’ai remis ma destinée entre vos mains ? J’ai
        risqué sans hésité une aventure redoutable parce que je ne
        voulais plus être désormais à un autre que vous.
        
        - -Et pourtant vous refusez de m’appartenir !
        
        - - Je veux conserver le droit de vous regarder sans rougir
        de honte quand vous serez mon mari. Ne sentez-vous pas à
        quel point il faut que j’ai confiance en vous pour
        vous avoir suivi, moi si nerveuse et craintive, à travers
        les solitudes de la montagne ? Il suffit que vous soyez
        avec moi, je n’ai plus peur de rien.
        
        - - Une femme suit toujours son libérateur. Je vous ai
        affranchie d’un esclavage ? arrachée à un misérable
        que les plus bas calculs ont seuls déterminés à vous
        épouser et qui ne sait reconnaître ni votre nature
        d’élite, ni même votre charme physique. Par moi
        l’espoir vous est rendu…
        
        - Je vous en ai de la gratitude. Prétendez-vous
        m’obliger à vous en payer la dette ?...
        
        Encore une fois, ma présence ne prouve-t-elle pas que je
        vous aime ?
        
        Non encore une fois elle prouve seulement votre horreur de
        l’autre…de cet homme qui est votre mari et
        auquel je porte une haine Féroce parce qu’il a eu le
        droit de pénétrer votre chair. Il me semble que je deviens
        fou, quand je pense qu’il a tenu votre corps entre
        ses bras et que vous ne lui avait pas résisté…
        
        - Ah ! taisez-vous, Claude, taisez-vous ! Je ne vous
        croyais pas si cruel.
        
        - -Je le suis moins que vous ! Votre corps était mon bien,
        vous n’auriez jamais dû le livrer à un
        autre…et aujourd’hui vous vous refusez, à moi
        qui ai sur vous des droits supérieurs à tous les décrets
        humains.
        
        - Le respect même de notre amour, Claude, me commande de
        refuser, et vous devriez être le premier à le comprendre ?
        N’oubliez pas non plus que je suis mère…
        
        
Roman
        inédit de Jean Petithugenin
        
        Edition Ferenczi-1918
        
        
        
        
        
        
 
        
Possesseur
        d’une fortune agréable, libres d’entraves , le
        fils de son père était marqué par un mariage de convenances
        bourgeoises et l’éducation d’une nombreuse
        postérité. Mais le fils de sa mère n’avait pu
        supporter l’idée d’un bonheur officiel et
        légal, donc fade, aux côtés d’une jeune personne
        présentée par ses parents, comme les demoiselles souhaitées
        sur des pancartes manuscrites, à la devanture des
        merceries.
        
        D’ailleurs il ne s ‘estimait séduisant,
        irrésistible, que dans ses songeries, quand il enlevait des
        princesses sous son bras gauche, tandis qu’il
        massacrait du bras droit, en même temps que du feu de ses
        regards, une troupe d’estafiers apostés sous le
        balcon par un père rigide ou un rival sans courage. Là, il
        était Stéphane de pied en cap.
        
        Dans le tran-tran journalier, il redevenait Ledoux,
        manquait de confiance en ses mérites, n’osait aspirer
        à d ‘ élégantes et jolies fiancées qu’il
        eût convoitées de tout son cœur, et dédaignait celles
        qui, selon lui, eussent pu l’accepter volontiers,
        étant ordinaires et quelconques.
        
        Au sortir du collège il avait cherché une carrière ou il
        pût exercer ses facultés chevaleresques, il avait fait son
        droit dans l’espoir de défendre un jour avec éclat,
        de sauver, à la barre, la vie ou l’honneur
        d’une jeune fille du peuple persécutée par le rejeton
        déclassé d’une famille de la plus haute race, ce qui
        se voit couramment. Entré chez un avoué, l’étude
        aride d’un code dont les articles sont appréciés en
        sens inverses dans les mêmes cas, par les mêmes tribunaux,
        et surtout la barbarie d’un jargon de procédure
        l’avait rebuté tout d’abord, car il
        n’avait pas le don des langues étrangères.
        
        Penchés sur les dossiers crasseux pleins de papiers timbrés
        nauséabonds, la tête dans ses mains, l’esprit
        chevauchant ses chimères, il lui arrivait de sursauter,
        interpellé par un maître-clerc narquois.
        
        Ledoux ! Hé ! Ledoux, où êtes –vous encore.
        Parbleu, Ledoux était à sa place, assis devant le
        « corbillard ». C’est ainsi qu’on
        appelle, de par une ancienne tradition, le pupitre des
        clercs amateurs.
        
        
        Mais il écarait vite, avec une rancune ingrate dont il
        avait honte, cette vision rendue pénible par l’idée
        du mari, personnage qui prenait dans l’éliognement
        une apparence fantastique et hostible, il oubliait, en
        regardant Germaine, tout ce qui n’était pas
        d’elle, et l’amére psychologie nous enseigne
        qu’une joie n’tteint sa plus grande
        intensitéqu’au prix d’ un léger remords.
        
        Ce mois de juin s’écoula sous un ciel d’une
        splendeur immuable, il osa un jour formuler une proposition
        longuement méditée, et demanda timidement à la
        marquise :
        
Philippe Maquet. Edition « petit écho de la mode »
 
        
        
        
        Cette femme était la veuve en premières noces, du Comte de
        Chandenay, remariée depuis dix ans avec monsieur de
        Kervelen.
        
        -Ainsi disait Georges, d’un accent exaspéré, vous
        refusez de me venir en aide, de me sauver de la
        misère ? C’est incompréhensible !
        
        - C’est très sage au contraire, répartit froidement
        Mme de Kervelen. Ce faisant je sauvegarde tes intérêts
        futurs, ton avenir.
        
        -Eh ! que me fait à moi cette sollicitude trop
        éclairée, si elle me réduit à mourir de faim à trente ans
        en pleine force, en pleine jeunesse, sous prétexte de
        m’assurer de quoi vivre lorsque je serai vieux et las
        de tout !
        
        - C’est justement lorsque les années arrivent,
        qu’il faut être assuré contre le malheur.
        
        « d’ailleurs continua durement Mme de Kervelen,
        en se levant hautaine, cessons une argumentation inutile.
        Je ne veux, ni ne puis te donner les cent mille francs que
        tu sollicites de ma pitié maternelle. Si j’avais la
        faiblesse de t’accorder ce subside, sans le
        consentement préalable de Mr de Kervelen,
        j’encourrais son blâme justifié. De plus ce serait te
        fournir bénévolement les moyens de commettre, sans doute,
        de nouvelles folies.
        
        - Oh ! le temps des folies est passé, ma mère ;
        depuis quelques années j’ai souffert et j’ai
        appris à vivre.
        
        -Oui en dévorant les cinq cents mille francs qui te sont
        échus de la succession de ton père, en moins de six ou sept
        ans.
        
        -A ce prix là, on peut apprendre à vivre ; les leçons
        coutent cher !
        
        - Ce sont celles que t’ a données, sans doute, ton
        cher cousin, Jacques de Roberville, ce débauché !
        
        - Ma mère, je vous en prie ne parlez plus de ce passé très
        proche encore, et pourtant si loin de mon esprit. Je ne
        vois plus Jacques de Roberville, j’ai compris, bien
        que tardivement , peut-être, combien sa fréquentation
        m’était nuisible.
        
        -Ah ! voici un premier aveu.
        
        -Oh ! je pourrais en faire d’autres ; je
        connais mes tords et je n’ai pas la lâcheté de
        vouloir les dissimuler. Si je suis revenu ici, en ce
        château qui fut mon berceau, avec l’intention
        d’implorer de votre tendresse maternelle un secours
        indispensable, ce n’est plus pour le jeter bêtement
        sur le tapis vert des tripots ou pour le gaspiller en
        folies. Non, j’ai maintenant le désir très sincère de
        réparer mes fautes de jeunesse. Je voudrais trouver, avec
        l’aide de ces cent mille francs, une situation
        industrielle ou commerciale.
        
        - Un Chandenay, commerçant, ce serai joli ! jeta Mme
        de Kervelen, d’un accent méprisant.
        
        -Ma mère le travail n’est pas déshonorant.
        
        - Il ne me plait pas de discuter de cette opinion, encore
        moins de me prêter à la réalisation d’idées aussi
        déplacées chez un homme de ta naissance.
        
        -Alors vous refusez de me venir en aide ?
        
        -Absolument.
        
        Vous êtes une mauvaise mère !
        
        …L’aurore succède à la nuit ; sa lumière
        efface les ténèbres, endort les douleurs, engendre la vie,
        et crée le bonheur !
        
        Croyez et espérez, mes enfants !...
        
        
Henri
        Germain, la Fée des bruyères.
        
        Société d’éditions jules Tallendier
        paris.
        
         
        
        
        -Je
        croyais que vous n’aviez jamais quitté ce petit coin
        de province, mademoiselle ? Cependant vous paraissez
        fort instruite…
        
        - J’ai été élevée jusqu’à seize ans chez les
        Bénédictines de Saint Jean, tout prés d’ici, où les
        études sont poussées très fortement sous l’impulsion
        d’une abbesse remarquablement douée. Ici dans mes
        rares moments de loisir je travaillais encore… Mais
        il ne faudrait pas penser trouver en moi
        l’instruction moderne, si étendue, si variée,
        ajouta-t-elle avec un sourire, sourire timide et délicieux,
        qui communiquait à sa physionomie un charme inexprimable.
        
        - Oh ! je n’y tiens pas, je vous assure !
        dit-il avec vivacité. On bourre nos jeunes filles modernes
        de connaissances de toutes sortes, mais, bien souvent
        qu ‘en reste-t-il ?
        
        
        Moi !, vous plaisantez ! comment
        voulez-vous ?... Je serais absolument
        incapable…
        
        Elle savait en effet, par ce que lui en avaient dit Mme
        d’Oulignies et la femme du notaire, ce qu’était
        la saison des chasses au château d’Arnelles :
        une suite ininterrompue de réceptions fastueuses, de
        distraction mondaines, de sports en tout genres, qui
        réunissaient à Arnelles la société la plus aristocratique
        et la plus élégante.
        
        - Ce n’est pas du tout mon avis, riposta-t-il
        tranquillement. J’ai constaté que vous étiez une
        remarquable maîtresse de maison, que la domesticité était
        conduite par une main très ferme, que tout marchait à
        merveille dans votre intérieur. Il en sera de même,
        j’en suis persuadé, lorsque nos hôtes seront là.
        D’ailleurs le maitre d’hôtel, le chef et la
        femme de charge vous faciliteront bien votre tâche par
        l’habitude qu’ils ont de ces réceptions. Ma
        sœur Claude qui viendra passer, je l’espère,
        deux mois près de nous, vous aidera de très bon cœur,
        et pour les petits détails de code mondain qui vous
        gêneraient, je serai toujours à votre entière disposition.
        
        Elle le regardait avec un si visible effarement qu’il
        ne put s’empêcher de rire.
        
        
M
        Delly : Entre deux ames.
        
        Librairie Plon. Paris
        
        Déposé au ministère de l’intérieur en
        1913.
        
        
         
        
        
        _
 
        
        
        Lorsque
        la porte se rouvrit devant une nouvelle visiteuse, une
        jeune femme de silhouette élégante dont le voile de grand
        deuil, le teint décoloré, les yeux soulignés de larges
        meurtrissures, racontaient une douleur récente, doublée
        peut-être de l’inquiétude du lendemain.
        
        La secrétaire avait beaucoup souffert dans sa vie déjà
        longue de veuve et de mère, crucifiée par la guerre, et
        peut-être à cause de cela, compatissait-elle, mieux
        qu’une autre, aux misères de toutes sortes sur
        lesquelles chaque jour, elle se penchait. Tout de suite
        elle eut pitié, et, se soulevant, dans un geste
        d’accueil, elle dit à l’arrivante :
        
        Madame, veuillez vous asseoir, vous m’exposerez
        ensuite l’objet de votre visite.
        
        L’inconnue s’assit. Elle avait des manières
        aisées. Pour celle qui l’observait et qui avait connu
        naguère les obligations, inhérentes aux femmes de grands
        chefs, il était clair qu’elle appartenait à un milieu
        distingué.
        
        
        Pauvre enfant ! soupira le prêtre, vous avez souffert
        encore. Ne vous plaignez pas… La douleur, quand elle
        est bien acceptée, est pour nos âmes, le meilleur des
        remède. Beaucoup ne le comprendront point… Ils la
        fuient ou la brave… Ils ne l’acceptent pas
        comme une rédemption…
        
        - J’ai été de ceux-là.
        
        - et maintenant ?
        
        - J’éprouve l’impression d’avoir devant
        moi, comme le matin dans la montagne, un rideau de
        brouillard rose qui me laisse l’espérance que le
        soleil le percera, et alors je ne m’abandonne plus à
        ma peine…
        
        - Celle-ci, peu à peu, vous fait connaître les vraies
        valeurs de la vie. Et je ne m’en étoone point. La
        douleur en effet lorsqu’elle est bien supportée,
        détruit en nous ce qui doit mourir, pour que grandisse la
        grâce.
        
        Les mains que Françoise joignait sur son petit sac,
        frémissaient imperceptiblement. Elle sentait en elle un
        dernier espoir trop fou, trop humain, sur lequel elle ne
        voulait pas s’appesantir. Devrait-elle mourir
        aussi ?
        
J de Coulomb : Les yeux de l’amour.
Illustrations de Jean Aujame.
Maison de la bonne presse/Paris
        

        

